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[Traduction] Le q’epi des femmes séropositives en Bolivie

Les femmes séropositives sont davantage confrontées à la discrimination

Article original écrit par Muy Waso, publié en espagnol sur Global Voices et traduit en français par Charlène Brault

Photo de Juanma Rada pour le projet « VIH Bolivia » de Hivos. Licence Creative Commons.

Cet article a été rédigé par Dayana Martínez sur Muy Waso. Il a été republié sur Global Voices dans le cadre d’un accord média. Ce texte a reçu la deuxième mention honorable du Prix national du journalisme féminin 2023 organisé par Muy Waso.

Note de la rédaction : Le q’epi est une expression de l’art textile des femmes boliviennes. Il s’agit d’un tissu coloré noué dans le dos qui fait office de sac à dos. Ce sont des pièces qui accompagnent les femmes tout au long de leur vie et qui ont donc une relation symbolique avec leurs histoires, leurs rêves et leurs lamentations.

Lorsque Mariela, qui a demandé à ce que son vrai nom ne soit pas divulgué pour des raisons de sécurité, a été diagnostiquée séropositive, son mari a refusé de se faire dépister et a décidé d’abandonner sa famille. C’est la réalité à laquelle sont confrontées des centaines de femmes vivant avec le VIH en Bolivie. Non seulement elles sont confrontées aux préjugés, mais elles deviennent également cheffes de famille à cause de l’abandon de leur partenaire et, en raison de leur travail informel, elles luttent pour prendre soin de leur santé et de celles de leurs enfants.

En Bolivie, trois femmes sur dix sont cheffes de famille. En ce qui concerne les familles monoparentales, 81 % d’entre elles sont soutenues par des femmes. Ces deux données proviennent de l’Institut national des statistiques de Bolivie (INE).

Mais, les chiffres pourraient être plus élevés pour les femmes séropositives : plus de 3 000 femmes vivant avec le VIH sont cheffes de famille, selon les chiffres de la Banque mondiale. Cela représente environ 42 % du nombre total des femmes chez qui le virus a été diagnostiqué. De nombreuses statistiques sur cette population sont projetées par les responsables du Réseau national des personnes vivant avec le VIH et le sida (RedBol), une organisation bolivienne qui fournit un accompagnement et des informations pour soutenir les patients dans le pays, car l’État ne dispose d’aucune donnée sur les hommes qui abandonnent leur partenaire et leur famille lorsqu’ils découvrent qu’elles vivent avec le VIH. L’État ne dispose pas non plus de données précises sur le nombre de femmes séropositives qui doivent subvenir aux besoins de leurs enfants, souvent séropositifs eux-mêmes.

Plongées dans le secteur informel

Dans le pays, 80 % de la population générale travaille dans le secteur informel. Sur ce total, environ neuf sur dix sont des femmes, selon les données publiées par l’Organisation internationale du travail (OIT) en 2022. Le profil des femmes boliviennes du secteur informel se situe dans le commerce et se compose d’adultes ayant une éducation primaire et d’indigènes.

Cette situation se reflète et s’amplifie également chez les femmes vivant avec le VIH. « Si l’on considère la population séropositive, on arrive même à 90 %  de personnes qui n’ont pas de travail fixe », déclare Hilaquita, citant des propos de RedBol. « La plupart d’entre nous n’ont pas d’emploi. Les mères vont vendre et vivent au jour le jour », ajoute-t-elle.

La pandémie : pas de dépistage, pas de médicaments

Pendant la pandémie, de nombreuses personnes ont été contraintes d’interrompre leur traitement antirétroviral. Les restrictions à la liberté de mouvement et de déplacement ont empêché les patientes de se rendre dans les centres de santé pour y recevoir leurs médicaments. En conséquence, ce sont surtout les habitantes des zones rurales qui ont été les plus touchées. Alors que le COVID-19 a absorbé des laboratoires, des lits et du personnel, les services de diagnostic du VIH ont été laissés pour compte et dépourvus de ressources. Le pourcentage de cas diagnostiqués à des stades tardifs a considérablement augmenté.

« Les cas captifs non diagnostiqués pendant la pandémie ont commencé à être diagnostiqués en 2022 et en 2023 […]. Beaucoup d’entre eux étaient tardifs, c’est à dire des patientes au stade du sida. Normalement, nous en avions moins de 10 %, maintenant nous avons atteint 15 à 20 % », explique José Armando Sandoval, responsable du programme IST/VIH/SIDA du Service départemental de santé (Sedes) de Chuquisaca. Ces cas ont une espérance de vie plus courte. La moitié meurt dans l’année qui suit le diagnostic, l’autre moitié vit deux à trois ans de plus.

Cela comporte un risque pour la santé publique, car plus une personne ignore qu’elle est séropositive, plus elle est susceptible de réaliser des actions à risque pour sa vie et celle des autres, explique Sandoval. Face à cette situation, des alertes ont été déclenchées dans certains départements du pays. À Chuquisaca, par exemple, en avril 2022, l’augmentation du nombre de personnes séropositives a fait l’objet d’une alerte orange.

Disparités de genre en matière de diagnostic 

En Bolivie, il y a un peu plus de deux hommes séropositifs pour une femme vivant avec le virus, selon les chiffres de RedBol. Contrairement à eux, la plupart d’entre elles sont diagnostiquées pendant la grossesse.

Depuis 2007, en Bolivie, les femmes enceintes sont soumises à un dépistage rapide obligatoire du VIH. C’est grâce à ces tests que de nombreuses adolescentes apprennent qu’elles sont séropositives, car elles ne pourraient pas y avoir accès sans l’autorisation écrite de leurs parents.

« Aujourd’hui, l’épidémie de VIH se concentre sur les jeunes de 14 à 30 ans. Auparavant, c’était entre 20 et 35 à 40 ans », déplore Hilaquita. Le fait que le VIH touche aujourd’hui de plus en plus de jeunes montre la nécessité de fournir des informations sur les méthodes contraceptives dans le système éducatif afin d’éviter les grossesses non désirées et de prévenir la transmission du VIH et d’autres infections ou maladies.

Grossesses précoces et VIH

Depuis le premier diagnostic de VIH en Bolivie, en 1984, jusqu’aux premiers jours de juin 2023, 124 cas ont été enregistrés chez des filles et des adolescentes âgées de 10 à 14 ans et 40 chez des garçons du même âge. Chez les 15-19 ans, 1 951 cas ont été diagnostiqués chez des garçons et 2 183 chez des filles.

Dans ces deux groupes d’âge, les filles séropositives sont plus nombreuses que les garçons. « Si on parle des moins de 18 ans, la plupart des personnes diagnostiquées avec le VIH sont des filles », déclare Sandoval. Cette tendance se reflète également à l’échelle internationale. En Amérique latine, les femmes représentent 29 % des nouveaux cas, tandis que chez les 15-24 ans, ce pourcentage passe à 36 % d’après les chiffres de l’ONUSIDA.

Violences sexuelles, données inexistantes

Lorsqu’on lui demande si ces cas de mineures enceintes sont la conséquence de délits sexuels, Sandoval répond que cette donnée n’est pas prise en compte dans les statistiques. Mais avec ses 11 années d’expérience à Chuquisaca, il a remarqué qu’un grand nombre de ces cas ont leurs deux parents adolescents.

Cependant, au 31 octobre 2023, le ministère public enregistrait chaque jour plus de 10 cas d’attouchements sexuels ou de viols sur des enfants ou des adolescents. À Chuquisaca, une plainte de ce type est déposée tous les jours et demi.

Il se souvient d’un seul cas de viol : un père qui a violé sa fille de neuf ans et lui a transmis le VIH. « Il a été arrêté dans mon bureau. Il est mort du sida en prison », ajoute-t-il.

Bien qu’on ne dispose pas de données sur les cas de transmission du VIH par le biais de délits sexuels, les médias en ont enregistré plusieurs au cours de l’année écoulée. Comme à Cochabamba, où un père séropositif a violé sa femme et ses quatre filles (mai 2022). Ou encore le cas d’un garçon de 10 ans à Yapacaní, Santa Cruz, qui a été violé par quatre hommes qui lui ont transmis le VIH et l’ont laissé en soins intensifs (juin 2022).

Un q’epi plus grand

Chaque jour, les femmes sont confrontées à des inégalités de traitement dans la société qui affectent leur vie. Cela va de la façon dont elles s’habillent à la façon dont elles exercent leurs droits sexuels et reproductifs. « Quand tu as le VIH, ton q’epi est plus grand », explique Hilaquita. « On te dit “c’est sûrement une pute, elle a sûrement été contaminée comme ça” ». Les femmes séropositives souffrent d’une plus grande discrimination, y compris dans les services de santé. Les filles des femmes séropositives qui décident d’avoir des enfants sont également victimes de discrimination.

Cette situation affecte les personnes séropositives, en particulier les femmes, de telle sorte qu’une espèce d’autocensure règne parmi elles lorsqu’il s’agit de réclamer publiquement le respect de leurs droits et de dénoncer les irrégularités et les discriminations dont elles font l’objet. Lorsqu’elles ne sont pas exclues ou discriminées, elles semblent invisibles aux yeux de la société et de l’État.

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