Les conditions de sécheresse sont susceptibles de se poursuivre de 40%.
Article original écrit par Candice Stewart, publié en anglais sur Global Voices et traduit en français par Charlène Brault
Cet article a été publié avec le soutien de la Caribbean Climate Justice Journalism Fellowship, un partenariat entre Climate Tracker et Open Society Foundations.
Les événements liés au dérèglement climatique tels que les sécheresses, qui entraînent une pénurie d’eau, constituent une menace pour les moyens de subsistance des populations du monde entier. Les groupes vulnérables comme les personnes âgées, les peuples autochtones, les enfants et les personnes ayant des capacités différentes sont particulièrement exposés, mais un groupe qui est presque toujours négligé est celui des personnes qui ont leurs règles.
Les périodes prolongées de pénurie d’eau ont un impact négatif sur les femmes qui ont leurs règles tous les mois. Elles exacerbent également les effets de la précarité menstruelle, c’est-à-dire le manque d’accès aux produits d’hygiène menstruelle, à l’éducation sur les menstruations et aux installations sanitaires adéquates. Il s’agit d’un problème très répandu qui touche les femmes et les jeunes filles qui n’ont pas les moyens d’acheter les produits menstruels nécessaires, tels que des serviettes hygiéniques, des tampons ou des coupes menstruelles.
Shelly-Ann Weeks, directrice exécutive de la fondation jamaïcaine HerFlow, a expliqué que la précarité menstruelle « peut également s’étendre aux installations nécessaires pour gérer ses menstruations » :
Cela comprend de l’eau courante propre, des installations sanitaires et des zones d’hygiène. Au fond, la précarité menstruelle est le fait de ne pas pouvoir accéder à tout ce dont on a besoin quand on a ses règles ou de ne pas pouvoir se le permettre.
La gestion des règles, connue sous le nom de gestion de l’hygiène menstruelle (GHM), est identifiée par le Programme commun de surveillance de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et du Fonds des Nations unies pour l’enfance (UNICEF) comme comprenant un éventail de facteurs à prendre en considération dans la gestion des menstruations. Il s’agit notamment de l’accès à des informations et une éducation précises concernant le cycle menstruel, ainsi qu’à des normes sociales positives autour du thème des menstruations.
Quel est donc le rôle du dérèglement climatique et de la pénurie d’eau ? Evan Gates est membre du conseil consultatif jeunesse de PERIOD., une organisation internationale qui aide les jeunes, les adultes, les organisations et les décideurs politiques à transformer la façon dont les sociétés abordent le sujet des règles, par le biais d’activités de plaidoyer, de formation, de campagnes et d’engagement public.
Selon Evan Gates, « une grande partie des ressources que les personnes utilisent pour gérer leurs menstruations ont besoin d’eau » :
[L]es toilettes, la lessive, tout ce qui concerne la gestion des déchets, tout ce qui concerne l’assainissement, même quelque chose d’aussi simple que de se laver les mains. Cela nécessite de l’eau propre, et lorsqu’il s’agit de quelque chose qui implique beaucoup de sang, le besoin d’eau propre entre en jeu.
Compte tenu de l’impact de l’accès à l’eau propre sur la gestion des règles, la rareté de l’eau devient alors une question encore plus cruciale.
D’un point de vue plus général, il estime que l’absence d’eau propre et d’eau en général dans le monde entier a été amplifiée par le dérèglement climatique :
[Avec les sécheresses], l’incapacité d’obtenir de l’eau propre est une préoccupation majeure, et lorsque vous y avez accès, vous la réservez à la boisson, à la cuisine ou aux douches de base plutôt qu’à la gestion des menstruations.
La priorité est donc donnée aux autres besoins en eau, selon lesquels la soif est bien plus importante que la précarité menstruelle. Shelly-Ann Weeks atteste que les gens ne considèrent pas nécessairement la GHM comme importante, même si « elle a un impact direct sur l’éducation, la culture et la participation économique de 50 % de la population mondiale à un moment donné de leur vie ».
Bien qu’il existe des mesures, telles que l’utilisation de lingettes humides, qui peuvent être prises pour faire face aux menstruations en l’absence d’eau, Shelly-Ann Weeks estime que celles-ci ne font qu’aggraver le problème, car pouvoir acheter des lingettes renvoie directement à la question de l’accessibilité financière :
Si vous êtes déjà […] en situation de précarité menstruelle, que vous n’avez pas d’eau, que vous avez peu ou pas d’argent pour acheter de l’eau ou pour accéder facilement à de l’eau, comment pouvez-vous avoir accès à des lingettes à utiliser ? Les personnes dans cette situation difficile peuvent n’avoir qu’un gallon d’eau et doivent donner la priorité à l’eau pour boire et à l’eau pour cuire les aliments. Leur réflexion est la suivante : « Je ne peux pas utiliser ce gallon d’eau pour me laver correctement et prendre soin de mon hygiène menstruelle. Ce n’est pas la chose la plus importante quand j’ai deux enfants à nourrir. »
Elle souligne que de nombreuses personnes ne parviennent pas à faire le lien avec la précarité menstruelle :
Le manque d’empathie met de nombreuses personnes dans une position où elles ne peuvent même pas imaginer [la précarité menstruelle], car ce n’est pas leur réalité.
Avec l’arrivée du COVID-19 en 2020, l’Institut de planification de la Jamaïque (PIOJ) a indiqué que, bien que le taux de pauvreté du pays ait augmenté en 2021, il devrait diminuer. La prévalence de la pauvreté dans le pays a été estimée à 16,7 %, soit une augmentation de 5,7 %, par rapport à 2019.
Pénurie d’eau en Jamaïque
Les petits États insulaires en développement (PEID) comme la Jamaïque, dont la population est estimée à 2,8 millions d’habitants, sont souvent en première ligne lorsqu’il s’agit de faire face aux effets du dérèglement climatique. L’impact est encore plus important lorsque les facteurs économiques et sociaux sont pris en considération.
Bien que l’île soit connue comme « la terre du bois et de l’eau », la Jamaïque connaît régulièrement des pénuries d’eau. De nombreux foyers doivent faire à des restrictions d’eau pour une durée indéterminée, car les barrages et autres réserves d’eau sont souvent très faibles. Plus tôt cette année, la Commission nationale de l’eau (NWC) de l’île a pris un arrêté d’interdiction limitant l’utilisation de l’eau dans les communautés de Kingston et de Saint Andrew en raison de la sécheresse. Malgré les tentatives pour obtenir des données de la NWC concernant les restrictions d’eau au cours des cinq dernières années, aucune information ne nous a été fournie.
En mai 2023, Matthew Samuda, ministre sans portefeuille du ministère de la Croissance économique et de la Création d’emplois, et sénateur, a déclaré au Parlement que la période de sécheresse actuelle a été cumulativement plus sèche que toute autre période de l’histoire de la Jamaïque. Il a noté que l’extrémité orientale de l’île avait été fortement touchée par le changement de régime des précipitations et a souligné que la période de mai à juillet devrait connaître des niveaux de précipitations inférieurs à la normale.
En faisant le point sur le niveau des réserves d’eau touchées dans les zones de Kingston et de Saint Andrew, le ministre a indiqué que le système Hermitage et le réservoir Mona étaient respectivement à 37 et 33 % de leur capacité de stockage, tandis que l’usine de traitement des eaux de Seaview, qui est desservie par des conduites provenant de la paroisse voisine de Sainte-Catherine, était à environ 73 % de sa capacité de stockage. Chaque partie de l’île a ressenti, à des degrés divers, l’impact de la sécheresse.
Dans le contexte d’une étude réalisée en 2013 par l’université d’Hawaï, qui prévoyait que Kingston, la capitale de la Jamaïque, atteindrait le départ climatique en 2023, ces événements pourraient être un peu moins surprenants.
En août, le Premier ministre Andrew Holness, tout en exhortant les Jamaïcains à respecter les restrictions imposées sur l’utilisation de l’eau potable, a souligné que les conditions de sécheresse persistaient et qu’elles avaient 40 % de chances de se poursuivre jusqu’à la fin de l’année, ce qui rendait impératif pour les Jamaïcains d’être prudents et d’économiser l’eau.
Si les sécheresses ont fortement contribué à la raréfaction de l’eau, il n’en reste pas moins que certaines communautés rurales n’ont jamais eu d’eau courante, que l’île soit en période de sécheresse ou non. Cela suggère donc que la pénurie d’eau en Jamaïque transcende les défis du dérèglement climatique.
Le sénateur Matthew Samuda a indiqué que le gouvernement continuerait à mettre en œuvre des mesures pour répondre aux conditions de sécheresse actuelles, y compris l’allocation de 110 millions de dollars jamaïcains (711 920 dollars américains) pour soutenir les agriculteurs et 130 millions de dollars jamaïcains (841 360 dollars américains) pour le transport par camion de l’eau potable, l’achat de réservoirs pour les ménages afin de faciliter le stockage de l’eau, l’amélioration de la flotte de camions-citernes, l’amélioration de la distribution, l’amélioration de la réglementation, la réactivation des puits et l’augmentation de l’allocation pour le transport par camion par l’intermédiaire des sociétés municipales.
Outre le fait que la pénurie d’eau liée au dérèglement climatique est une injustice, la précarité menstruelle constitue également une crise de santé publique qui, en 2021, affectait environ 500 millions de personnes dans le monde. En Jamaïque, il est difficile d’obtenir des données facilement accessibles sur la précarité menstruelle, mais la fondation HerFlow a mené une étude qui a révélé qu’un peu plus de 40 % des filles souffrent de précarité menstruelle et doivent se passer de protections hygiéniques plusieurs mois de suite.