Le procureur devra déposer une nouvelle plainte pénale.
Article original écrit par Salud con Lupa, publié en espagnol sur Global Voices et traduit en français par Charlène Brault
Le 7 décembre, le jour même où la Cour constitutionnelle a libéré l’ancien président Alberto Fujimori, qui purgeait une peine de 25 ans pour crimes contre l’humanité, la Cour suprême du Pérou a paralysé la procédure judiciaire concernant les centaines de milliers de stérilisations forcées commises sous la dictature de Fujimori et a ordonné que l’affaire soit renvoyée là où elle se trouvait en octobre 2018, au bureau du procureur supra-provincial chargé des affaires de violation des droits humains, afin qu’une nouvelle plainte pénale puisse être déposée et qu’un juge puisse décider d’ouvrir ou de clore l’affaire.
La décision de la Cour suprême fait suite à une action en justice intentée par l’ancien ministre de la Santé du gouvernement Fujimori, Alejandro Aguinaga, afin d’éviter d’être poursuivi en justice dans cette affaire. Parmi les arguments qu’il a présentés, Aguinaga soutient que ses droits constitutionnels sont violés et que l’enquête n’est pas motivée, car au cours des deux décennies écoulées, l’affaire a été classée huit fois faute de preuves.
En décembre 2021, le juge Rafael Martínez a ordonné l’ouverture d’une enquête préliminaire contre l’ancien président Alberto Fujimori et de hauts fonctionnaires de son gouvernement, tels que les anciens ministres de la Santé Alejandro Aguinaga, Marino Costa Bauer, Eduardo Yong Motta, et le conseiller Ulises Jorge Aguilar. Pour ce faire, le ministère public a présenté ses éléments de preuves recueillies au cours de 16 années d’enquête, au cours de deux mois d’audiences.
Ils sont accusés d’être à l’origine de la mort de cinq femmes : Mamérita Mestanza, Alejandra Aguirre, Reynalda Betalleluz, Marpia Espinola et Celia Ramos, qui ont souffert de complications à la suite d’opérations réalisées dans de très mauvaises conditions sanitaires et sans suivi médical. Ils sont également tenus responsables des blessures commises sur 1 315 autres victimes dans un contexte de graves violations des droits humains.
Le cas de Celia Ramos représente très bien le contexte dans lequel la plupart de ces stérilisations ont été effectuées : en 1997, à l’âge de 34 ans, elle se rend dans un centre de santé pour des soins dentaires et est identifiée par ses médecins comme candidate à la ligature des trompes. Sous l’insistance et la pression des agents de santé, qui sont allés jusqu’à se rendre à son domicile sans son consentement, Celia Ramos a accepté l’intervention chirurgicale et est décédée d’une septicémie 19 jours plus tard.
Cette enquête judiciaire a débuté trois ans après que le procureur a déposé sa plainte pénale en 2021. Le ministère public a notamment conclu que la stérilisation forcée était une politique de l’État visant à réduire la pauvreté par la baisse du taux de natalité. En 1991, à l’issue d’une évaluation démographique territoriale, l’État a conclu qu’il existait « une relation négative entre la croissance démographique et la croissance économique », principalement chez les femmes des zones rurales de la forêt et des hauts plateaux.
Le ministère public a également recueilli des témoignages, des articles de presse et des rapports émanant d’institutions telles que le Bureau du Défenseur du peuple, le ministère de la Santé et le Congrès de la République, selon lesquels le personnel de santé a forcé des femmes à faibles revenus à se faire ligaturer les trompes, sous de faux prétextes, sous la menace ou sous la fausse promesse de leur donner de la nourriture.
Selon le ministère public, les auteurs de ces pratiques étaient des médecins qui, de par leur position d’autorité, contribuaient à la mise en oeuvre de la politique de stérilisations dans la sous-région IV de Cajamarca à l’époque du décès de Mestanza. Cependant, tous ont continué à travailler sans problème dans le secteur de la santé après que les faits ont été rendus publics.
Le même jour, l’ancien président Alberto Fujimori a été libéré de prison à la suite d’une décision de la Cour constitutionnelle qui a abouti à sa grâce en 2017. La libération a eu lieu alors que la Cour interaméricaine des droits de l’homme avait demandé à l’État péruvien de s’abstenir de cette mesure afin de garantir le droit à la justice des victimes de La Cantuta et de Barrios Altos, affaires pour lesquelles il avait été condamné en 2009 à 25 ans d’emprisonnement.